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Je suis née avec un pinceau au bout des doigts. Le regard avalant tout, le cœur refermé, l’esprit désorienté. Je suis arrivée muette, pourtant prenant tout, ne donnant rien
sauf des éclairs de couleurs en touches furieuses et contrôlées.
J'ai rencontré la laque après avoir écumé les ateliers de peinture sans succès.
Et pourquoi la laque ? Je ne peux répondre. Je pense que j’ai eu la chance à ce moment de ma jeune vie, de rencontrer un laqueur qui avait absolument besoin d’une petite main.
Il a saisi l’opportunité et je m’y suis … soumise. J’ai appris les balbutiements de ce métier dans cet atelier providentiel. Me retrouvant seule à l’atelier très souvent, j’ai appris beaucoup et tellement librement !!
Durant près de quarante ans j'ai restauré des laques anciens de toute nature, orientaux, européens, vernis martin, laques Art Déco , perses, russes etc…
Mon imagination conduisant ma main, j’ai créé parallèlement des œuvres en laque, appuyées sur la découverte des multiples techniques de laques anciens rencontrées au fur et à mesure de mon travail de restauration.
Je donne toujours un nom à mes œuvres figuratives. Un choix qui s’impose comme une nécessité évidente. A contrario mes laques abstraits ne sont pour la plupart pas « titrés ». Il suffit de les regarder, de s'en emplir, pas besoin de les nommer, de les signifier, ou de les expliquer.
Chacun laissera son imagination les rendre visibles…
Depuis que nous en connaissons l'existence en Europe à la fin du XV° siècle, nous avons toujours été attirés voire subjugués par les laques qu'ils soient orientaux ou européens. Le terme « laque » ( laque végétale – animale - shellac – ts'i chinois – urushi japonais) aujourd'hui, prend un sens large pour désigner des vernis copal, formophénoliques, cellulosiques, polyuréthanes, acryliques et autres résines synthétiques …. Cet engouement pour le soyeux et la sensualité de cette matière exceptionnelle, la richesse sans cesse inventée des décors, a atteint son apogée incontestablement à la première moitié du XVIII° siècle puis est tombé un peu en désuétude à la fin du XIX° . L’art du laque a retrouvé ses lettres de noblesse grâce à des maîtres japonais initiant nos grands créateurs, tels Eileen Grey, Dunand et d'autres vers les années 1920, créant le style Art Déco . Grâce à ces artistes, la pratique traditionnelle du laque n'a pratiquement pas changé, même après que l'utilisation des laques cellulosiques se soient peu à peu substituées à la laque traditionnelle Abstraction et figuration Cela a été un débat passionné durant des lustres ! Même en respectant le travail dans sa tradition la plus fidèle, les manières de s'exprimer sont devenues plus libres, plus déliées, moins contraintes .
Lorsque que je parle de rouge ou de bleu, de profondeur ou de transparence, pour moi, le sens en est plus large et plus étoffé. J’ai sur ma palette d’autres bleus que le bleu du ciel, d’autres rouges que le rouge du sang .. Je ne peins pas, ma technique est différente, se réfère à l’art du laque ancestral asiatique, mais diluée dans l’intempérance de mon esprit . Je travaille, - j’aime le fait du travail - , la matière, les colles animales, les vernis présentés en « larmes » et que j’infuse dans différents médiums pour leur donner corps, les pigments ensorcelants et énigmatiques . Je manipule tous ces ingrédients dans un ordre scrupuleux et respectueux, je les étale avec les outils que les laqueurs ont en main depuis tant de temps que j’en ai absorbé leur concentration, je respire le parfum des premières couches de laque posées aussi finement qu’une caresse ……. Et à côté de ce raffinement du geste, s’impose la force, la puissance tranquille des encollages, apprêtages, ponçages, polissages etc ….. J’aime le contraste ! Le yin, le yan Le rouge, le noir La laque « Ce qui est le plus intelligible dans le langage » ( l’expression picturale ou musicale) « n’est pas le mot » ( couleur, note) « lui-même, mais le ton, la puissance, la modulation, le tempo, avec lesquels une série de mots » ( notes, couleurs ) « est prononcée, bref, la personne derrière cette passion : tout ce qui ne peut être écrit … ( dit, musiqué, peint …) Nietzsche ( Fragment de l’été/automne 1882